Soyons honnête, nous avons tous déjà été qualifiés de « grand enfant » par notre entourage ! Bonne nouvelle : la science pourrait bien nous permettre de le rester sans culpabiliser. Une nouvelle recherche scientifique bouleverse notre compréhension du développement cérébral en révélant que l’adolescence se poursuit bien au-delà de ce que l’on pensait. Publiée dans la revue Nature Communications, cette étude portant sur près de 4 000 scanners cérébraux identifie quatre moments charnières dans la vie du cerveau humain : autour de 9 ans, 32 ans, 66 ans et 83 ans. Ces découvertes suggèrent que notre cerveau traverse cinq grandes phases distinctes tout au long de notre existence, chacune caractérisée par des transformations spécifiques de son organisation.
Quatre tournants majeurs redéfinissent les étapes de la vie
Les chercheurs ont analysé des données d’imagerie cérébrale provenant de neuf bases de données différentes, couvrant un spectre d’âge allant de la naissance à 90 ans. L’étude s’est concentrée sur la topologie cérébrale, c’est-à-dire la façon dont les connexions neuronales s’organisent entre elles pour former des réseaux complexes. En utilisant une technique appelée UMAP (Uniform Manifold Approximation and Projection), les scientifiques ont projeté ces données complexes dans un espace tridimensionnel pour identifier les points de basculement les plus significatifs. Ces quatre âges clés marquent des moments où le cerveau change de trajectoire de développement, passant d’une phase à une autre avec des caractéristiques organisationnelles distinctes.
Le premier tournant survient vers 9 ans, coïncidant avec le début de la puberté qui débute entre 8 et 13 ans pour les filles et entre 9 et 14 ans pour les garçons. Comme l’explique l’étude, cette période marque « l’initiation de changements significatifs dans l’expression hormonale et de modifications neurologiques robustes ». Durant cette première décennie, le cerveau des enfants subit une élimination compétitive des synapses et une croissance rapide de la matière grise et blanche. Le rapport souligne également que ce tournant introduit un « risque accru » de troubles de santé mentale, cognitifs et comportementaux en raison des changements hormonaux et du « basculement neurobiologique ».
L’adolescence prolongée : une découverte qui fait débat
La découverte la plus surprenante concerne la durée de l’adolescence. Alors que l’Organisation mondiale de la santé définit traditionnellement cette période entre 10 et 19 ans, et qu’une étude de 2018 dans The Lancet l’étendait jusqu’à la vingtaine, cette nouvelle recherche repousse considérablement cette limite. Les chercheurs ont constaté que dans les pays occidentaux comme le Royaume-Uni et les États-Unis, « le développement topologique adolescent s’étend jusqu’à environ 32 ans, avant que les réseaux cérébraux ne commencent une nouvelle trajectoire de développement topologique ». Cette phase de 9 à 32 ans représente la période où le cerveau devient progressivement plus intégré et efficace, avant d’atteindre son pic d’efficacité maximale.
Le tournant de 32 ans émerge comme le plus marqué du parcours de vie selon l’étude. C’est à cet âge que l’intégrité et le volume de la matière blanche augmentent rapidement, et que se produisent « les changements directionnels les plus importants et un grand basculement de trajectoire » comparé aux autres points de bascule. Duncan Astle, professeur de neuro-informatique à l’Université de Cambridge et co-auteur de l’étude, a déclaré au journal The Independent que ces recherches nous aident à mieux comprendre les vulnérabilités du cerveau. C’est également à partir de cet âge que la personnalité et l’intelligence atteignent un « plateau » et se stabilisent après les changements survenus au début de l’adolescence. Les auteurs n’ont pas précisé pourquoi ce phénomène caractérise spécifiquement les pays occidentaux, ni comment l’adolescence se poursuit dans d’autres régions du monde.
De l’âge adulte au vieillissement : un cerveau en constante évolution
La troisième phase, l’âge adulte de 32 à 66 ans, constitue la plus longue période de stabilité. Durant ces trois décennies, le cerveau évolue plus lentement qu’auparavant, sans point de bascule majeur jusqu’à la soixantaine. Les chercheurs observent que « cette période de stabilité du réseau correspond également à un plateau dans l’intelligence et la personnalité ». Néanmoins, le cerveau continue de se transformer progressivement : il devient plus modulaire, c’est-à-dire qu’il se divise en groupes distincts de régions très interconnectées entre elles. L’intégration globale diminue tandis que la spécialisation locale augmente, reflétant une organisation cérébrale qui privilégie davantage le traitement spécialisé au sein de sous-réseaux.
À partir de 66 ans débute la phase de vieillissement précoce, qui s’étend jusqu’à 83 ans. Bien que le cerveau ne montre pas de signes abrupts de déclin durant cette période, des modifications importantes surviennent dans les motifs de connexion en raison d’une diminution de l’intégrité de la matière blanche. Le cerveau fonctionne désormais de manière plus indépendante dans des régions séparées, se coordonnant moins comme un tout unique. L’étude note que le début de la soixantaine marque un changement important dans la santé et la cognition, avec l’apparition de la démence et de l’hypertension artérielle pour beaucoup, deux facteurs qui peuvent accélérer le vieillissement cérébral.
Le grand âge : des données encore limitées
La dernière phase, le vieillissement tardif après 83 ans, reste la moins documentée en raison d’un échantillon réduit de participants dans cette tranche d’âge. L’étude révèle que seule la centralité des sous-graphes, une mesure de l’importance des nœuds individuels dans la connectivité locale, reste significativement associée à l’âge durant cette période. Les auteurs reconnaissent que le manque de résultats significatifs pourrait refléter la petite taille de l’échantillon, mais suggèrent également que cela pourrait indiquer « un véritable affaiblissement de la relation entre l’âge et la topologie structurelle du cerveau en fin de vie ». Les résultats corrèlent avec une tendance décroissante de la connectivité cérébrale à un âge très avancé.
En bref…
Le développement cérébral ne suit pas un modèle linéaire simple, mais traverse des époques distinctes avec leurs propres caractéristiques. L’extension de l’adolescence jusqu’à 32 ans dans les pays occidentaux constitue sans doute la découverte la plus marquante, remettant en question les définitions traditionnelles et ouvrant de nouvelles perspectives sur les politiques de santé publique, d’éducation et de soutien aux jeunes adultes. Alors voilà, science à l’appui, vous êtes désormais officiellement autorisés à vous comporter comme de grands enfants jusqu’à au moins 32 ans : votre cerveau est encore en pleine adolescence, après tout ! Que vous collectionnez les figurines, jouiez aux jeux vidéo jusqu’à pas d’heure ou refusiez de manger vos légumes, vous pouvez maintenant brandir cette étude comme preuve irréfutable que vous n’avez pas encore tout à fait terminé votre maturation cérébrale. Plus sérieusement, ces travaux soulignent l’importance d’une approche multivariée et populationnelle pour saisir la complexité du développement personnel humain tout au long de la vie, offrant ainsi de précieuses pistes pour mieux accompagner chaque phase de notre existence avec bienveillance et compréhension.
Source : Nature Communications et Al Jazeera